Réunion du Club de discussion de Valdaï-2024
Vladimir Poutine a participé à la session plénière de la 21e réunion annuelle du Club de discussion international de Valdaï.
7 novembre 2024, 20:00, Sotchi
Le thème de la session : « Une paix durable — sur quelle base ? Sécurité universelle et possibilités égales pour le développement au XXIe siècle ».
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Fiodor Loukianov : Mesdames et Messieurs ! Chers invités, chers amis, participants à la réunion du Club Valdaï !
Nous entamons la séance plénière de la 21e réunion annuelle du Club de discussion international de Valdaï. Nous avons passé quatre jours agréables et riches en discussions, et nous pouvons maintenant, pour ainsi dire, essayer de résumer certains des résultats.
J'invite le Président de la Fédération russienne, Vladimir Vladimirovitch Poutine, à monter sur scène.
Vladimir Poutine : Je vous remercie. Merci beaucoup.
Je suis très heureux de vous accueillir à notre traditionnelle réunion. Je tiens à vous remercier d'ores et déjà pour votre participation aux discussions incisives et instructives du Club Valdaï. Nous nous réunissons le 7 novembre, une date importante pour notre pays et, pourrait-on dire, pour le monde entier. La révolution russe de 1917, comme à leur temps les révolutions hollandaise, anglaise et française, a été dans une certaine mesure un jalon dans l'évolution de l'humanité et a déterminé à bien des égards le cours de l'Histoire, la nature de la politique, de la diplomatie, de l'économie et de l'organisation sociale.
Vous et moi, nous avons également eu ce privilège de vivre à une époque de changements radicaux, en fait révolutionnaires, non seulement de nous rendre compte des processus les plus complexes du premier quart du XXIe siècle, mais aussi d'y participer directement. Le club Valdaï, qui a presque le même âge que notre siècle, a déjà 20 ans. En de telles occasions on dit souvent, que le temps passe inaperçu, mais en l'occurrence, ce n'est pas le cas. Ces deux décennies n'ont pas seulement été riches en événements importants, parfois dramatiques, aux proportions véritablement historiques — nous assistons à la formation d'un ordre mondial totalement nouveau, différent de ce que nous connaissons du passé, comme les systèmes de Westphalie ou de Yalta.
De nouvelles puissances s'élèvent. Les gens sont de plus en plus conscients de leurs intérêts, de leur valeur en soi, de leur originalité et de leur identité, et ils insistent de plus en plus fermement sur l'atteinte des objectifs de développement et d'équité. Dans le même temps, les sociétés sont confrontées à un nombre croissant de nouveaux défis, des changements technologiques passionnants aux cataclysmes catastrophiques naturelles, de la stratification sociale flagrante aux vagues de migration massives et aux crises économiques aiguës.
Les experts évoquent les menaces de nouveaux conflits régionaux et d'épidémies mondiales, les aspects éthiques complexes et ambigus de l'interaction entre l'homme et l'intelligence artificielle, ainsi que la manière dont la tradition et le progrès se combinent.
Nous avons prédit certains de ces problèmes lorsque nous nous sommes rencontrés auparavant, nous en avons même discuté en détail lorsque nous nous sommes rencontrés à Valdaï, au Club Valdaï, et nous avons anticipé intuitivement certains d'entre eux, en espérant le meilleur, mais sans exclure le pire des scénarios.
Mais certains d'autres, au contraire, ont surpris tout le monde. En effet, la dynamique est très forte. Le monde actuel est imprévisible, c'est sûr. Si on jette un coup d'oeil en arrière, sur vingt ans passés, si on évalue l'ampleur des changements et si on projette ensuite ces changements sur les années à venir, il est possible de supposer que les vingt prochaines années ne seront pas moins complexes, voire même plus. Et l'ampleur de cette complexité dépend bien sûr de très nombreux facteurs. Je crois savoir que vous vous réunissez au Club Valdaï pour les analyser et essayer de faire des prévisions.
D'une certaine manière, un moment de vérité se profile à l'horizon. L'ancien ordre mondial s'en va irrévocablement, s'en est déjà allé, pourrait-on dire, et une lutte sérieuse et irréconciliable se déroule pour la formation d'un nouvel ordre. Irréconciliable, tout d'abord, parce qu'il ne s'agit même pas d'une lutte pour le pouvoir ou l'influence géopolitique. Il s'agit d'une collision des principes mêmes sur lesquels les relations entre les pays et les peuples se construiront au cours de la prochaine étape historique. Son issue déterminera, serons-nous capables, tous ensemble, par nos efforts conjoints, de construire un univers qui permettra le développement de tous, de résoudre les contradictions émergentes sur la base du respect mutuel des cultures et des civilisations, sans coercition et sans recours à la force ; enfin, la société humaine pourra-t-elle rester une société avec ses principes éthiques humanistes, et les êtres humains pourront-ils rester des êtres humains.
Il semblerait qu'il n'y ait pas d'autre solution. À première vue. Mais, malheureusement, il y en a une. Ce serait une plongée de l'humanité dans l'abîme de l'anarchie agressive, ce seraient des divisions internes et externes, une perte des valeurs traditionnelles, des nouvelles formes de tyrannie, un rejet de facto des principes classiques de la démocratie, des droits et des libertés fondamentaux. De plus en plus souvent, la démocratie commence à être interprétée comme le pouvoir non pas de la majorité mais de la minorité, et l'on oppose même la démocratie traditionnelle et le pouvoir du peuple à une certaine liberté abstraite, au nom de laquelle les procédures démocratiques, les élections, l'opinion de la majorité, la liberté d'expression et des médias impartiaux, comme le pensent certains, peuvent être négligés ou sacrifiés.
La menace est une imposition d'idéologies totalitaires, que nous observons à l'exemple du libéralisme occidental, le libéralisme occidental d'aujourd'hui, qui a dégénéré, je crois, en une intolérance et une agression extrêmes envers toute alternative, envers toute pensée souveraine et indépendante, et qui justifie aujourd'hui le néo-nazisme, le terrorisme, le racisme et même le génocide de masse des civils.
Enfin, il s'agit de conflits internationaux et d'affrontements à destruction mutuelle. Après tout, les armes capables de le faire existent et sont constamment améliorées, acquérant de nouvelles formes au fur et à mesure que la technologie se développe. Le club des détenteurs de ces armes s'élargit, et personne ne garantit qu'en cas d'avalanche de menaces et de destruction finale des normes juridiques et morales elles ne seront pas utilisées.
J'ai déjà dit que nous avions atteint une ligne dangereuse. Les appels de l'Occident à une défaite stratégique de la Russie, le pays qui possède le plus grand arsenal d'armes nucléaires, démontrent l'aventurisme scandaleux des politiciens occidentaux. Du moins, de certains d'entre eux. Cette confiance aveugle dans leur impunité et leur exceptionnalisme pourrait se transformer en tragédie mondiale. Dans le même temps, les anciennes hégémonies, habituées à diriger le monde depuis l'époque coloniale, sont de plus en plus surprises de constater qu'elles ne sont plus obéies. Les tentatives de maintien par la force de leur pouvoir déclinant ne conduisent qu'à une instabilité générale et à des tensions croissantes, à des pertes humaines et à des destructions. Mais ces tentatives n'aboutissent toujours pas au résultat que recherchent ceux qui veulent conserver leur pouvoir absolu et sans partage. Car le cours de l'Histoire ne peut être arrêté.
Au lieu de réaliser la futilité de leurs aspirations et la nature objective du changement, certaines élites occidentales semblent prêtes à tout pour empêcher l'émergence d'un nouveau système international qui réponde aux intérêts de la majorité mondiale. Dans la politique des États-Unis, par exemple, et de leurs alliés ces dernières années, le principe tel que « Qu'il n'échoie alors à personne » et « Celui qui n'est pas avec nous est contre nous » est devenu de plus en plus perceptible. Mais écoutez, cette formule est très dangereuse. Car ce n'est pas pour rien que nous avons, comme de nombreux pays dans le monde, un dicton qui dit : « Telle demande, telle réponse ».
Le chaos, la crise systémique se développe déjà dans les pays qui tentent de mener une telle politique, leurs propres prétentions à l'exclusivité, au messianisme libéral-mondialiste, au monopole idéologique et militaro-politique épuisent de plus en plus les pays qui tentent de mener une telle politique, poussent le monde vers la dégradation et entrent en contradiction flagrante avec les intérêts véritables des peuples des États-Unis d'Amérique et des pays européens.
Je suis sûr que tôt ou tard, l'Occident s'en rendra compte. Après tout, ses grandes réalisations passées ont toujours été basées sur une approche pragmatique et sobre, sur une évaluation très dure, parfois cynique, mais rationnelle de ce qui se passe et de ses propres capacités.
À cet égard, je voudrais souligner une fois de plus que, contrairement à ses adversaires, la Russie ne perçoit pas la civilisation occidentale en tant qu'ennemi et ne pose pas la question « Nous ou eux ». Je le répète une fois de plus : « Celui qui n'est pas avec nous est contre nous » — c'est une chose que nous ne disons jamais. Nous ne voulons rien enseigner à personne, nous ne voulons imposer notre vision du monde à personne. Notre position est ouverte, et elle est la suivante.
L'Occident a accumulé des ressources humaines, intellectuelles, culturelles et matérielles vraiment considérables, grâce auxquelles il peut se développer avec succès et rester l'un des éléments les plus importants du système mondial. Mais il est précisément « l'un des plusieurs », sur un pied d'égalité avec d'autres États et groupes de pays en développement actif. Dans le nouvel environnement international l'hégémonie est hors de question. Lorsque Washington et les autres capitales occidentales comprendront et reconnaîtront ce fait irréfutable et immuable, le processus de construction d'un système mondial répondant aux défis de l'avenir entrera enfin dans la phase de véritable création. Si Dieu le veut, cela devrait se produire le plus tôt possible. Il en va de l'intérêt de tous, y compris et surtout de l'Occident lui-même.
En attendant, tous ceux d'entre nous qui sont intéressés par l'instauration d'une paix équitable et durable doivent consacrer trop d'énergie à surmonter les actions destructrices de nos adversaires, qui s'accrochent à leur propre monopole. Il est évident que cela se produit, tout le monde le voit à l'Ouest, à l'Est, au Sud — partout. Ils essaient de préserver le pouvoir et le monopole, [ce sont] des choses évidentes.
Ces efforts pourraient être canalisés avec beaucoup plus d'avantages et d'efficacité pour résoudre des problèmes vraiment communs qui affectent tout le monde : de la démographie et de l'inégalité sociale au changement climatique, à la sécurité alimentaire, à la médecine et aux nouvelles technologies. C'est ce à quoi nous devrions penser et ce sur quoi tout le monde doit vraiment travailler, ce que nous devrions faire.
Je me permettrai quelques digressions philosophiques aujourd'hui — enfin, nous sommes un club de discussion. J'espère donc que mes propos s'inscriront dans le droit fil des discussions qui ont eu lieu ici jusqu'à présent.
Je l'ai déjà dit : le monde change de manière spectaculaire et irréversible. Ce qui le distingue des versions précédentes du système mondial, c'est la combinaison, l'existence parallèle de deux phénomènes qui semblent s'exclure mutuellement : la croissance rapide des conflits, la fragmentation du champ politique, économique et juridique — d'une part, et l'interconnexion étroite et continue de l'ensemble de l'espace mondial — d'autre part. Cela peut être perçu comme un certain paradoxe. Après tout, nous sommes habitués à ce que les tendances décrites se succèdent les unes aux autres. Les époques de conflits et de rupture des liens alternent avec des périodes d'interaction plus favorables. Telle est la dynamique du développement historique.
Il s'avère qu'elle ne fonctionne pas aujourd'hui. Essayons de spéculer un peu sur ce sujet. Les conflits aigus, fondés sur des principes et remplis d'émotions compliquent considérablement l'évolution du monde, mais ne l'interrompent pas. D'autres chaînes d'interaction émergent à la place de celles qui ont été détruites par des décisions politiques et même par des moyens militaires. Oui, beaucoup plus complexes, parfois déroutantes, mais préservant les liens économiques et sociaux.
Nous l'avons vu dans l'expérience de ces dernières années. Tout récemment, ce que l'on appelle l'Occident collectif a fait une tentative sans précédent pour excommunier la Russie du système mondial, économique et politique. Le volume des sanctions et des mesures punitives appliquées à notre pays est sans précédent dans l'histoire. Nos adversaires pensaient qu'ils allaient asséner à la Russie un coup de grâce écrasant, dont elle ne se remettrait tout simplement jamais et cesserait d'être l'un des éléments clés de la vie internationale.
Je pense qu'il n'est pas nécessaire de rappeler ce qui s'est passé en réalité. Le fait même que le jubilé de Valdaï ait rassemblé un public aussi représentatif parle de lui-même, je pense. Mais, bien sûr, il ne s'agit pas que de Valdaï. Il s'agit des réalités dans lesquelles nous vivons, dans lesquelles la Russie existe. Le monde a besoin de la Russie et aucune décision prise par Washington ou Bruxelles, prétendument des boss des autres, ne peut changer cela.
Il en va de même pour d'autres décisions. Même un nageur entraîné ne peut pas nager contre un courant puissant, quelles que soient les astuces ou même le dopage qu'il utilise. Et le courant de la politique mondiale, le mainstream, est orienté dans l'autre sens, dans le sens opposé aux aspirations de l'Occident — d'un monde hégémonique descendant à une diversité ascendante. C'est une chose évidente, comme nous le disons, « pas besoin d'aller voir la mémère » [к бабке ходить не нужно]. C'est une évidence.
Mais revenons à la dialectique de l'Histoire, à l'alternance des époques de conflit et de coopération. Le monde est-il vraiment devenu tel que cette théorie et cette pratique ne fonctionnent plus ? Essayons d'examiner ce qui se passe aujourd'hui sous un angle un peu différent : quel est en fait le conflit et qui est impliqué dans le conflit d'aujourd'hui ?
Depuis le milieu du siècle dernier, lorsque le nazisme — l'idéologie la plus vicieuse et la plus agressive, fruit des contradictions les plus vives de la première moitié du XXe siècle — a été vaincu grâce aux efforts conjoints et au prix d'énormes pertes, l'humanité est confrontée à la tâche d'éviter la résurgence d'un tel phénomène et la répétition des guerres mondiales. Malgré tous les zigzags et les escarmouches locales, le vecteur général était déterminé à l'époque. Il s'agissait du rejet radical de toute forme de racisme, de la destruction du système colonial classique et de la croissance du nombre de participants à part entière à la politique internationale — l'exigence d'ouverture et de démocratie dans le système international était évidente, — du développement rapide de différents pays et régions, de l'émergence de nouvelles approches technologiques et socio-économiques visant à élargir les possibilités de développement et à accroître la prospérité. Bien sûr, comme tout processus historique, cela a donné lieu à un conflit d'intérêts. Mais, je le répète, il y avait un désir général d'harmonisation et de développement dans tous les aspects de ce concept.
Notre pays, qui était à l'époque l'Union soviétique, a largement contribué à la consolidation de ces tendances. L'URSS a aidé les États qui s'étaient libérés de leur dépendance coloniale ou néocoloniale, que ce soit en Afrique, en Asie du Sud-Est, au Moyen-Orient ou en Amérique latine. Et permettez-moi de vous rappeler particulièrement que c'était l'Union soviétique qui, au milieu des années 80, a prôné la fin de la confrontation idéologique, le dépassement de l'héritage de la guerre froide, en fait, le dépassement de la guerre froide elle-même et de son héritage, ces barrières qui empêchaient l'unité du monde et son développement global.
Oui, nous avons une attitude complexe à cette période, compte tenu de ce que la direction politique du pays à l'époque a fini par devenir. Nous devons faire face à certaines des conséquences tragiques, les surmonter encore aujourd'hui. Mais l'élan lui-même, je tiens à le souligner, l'élan même, bien qu'injustement idéaliste de la part de nos dirigeants et de notre peuple, parfois même l'approche naïve, comme nous le voyons aujourd'hui, étaient sans aucun doute dictés par des souhaits sincères de paix et de bien commun, qui sont en fait historiquement inhérents au caractère de notre peuple, à ses traditions, à son système de valeurs, à ses coordonnées spirituelles et morales.
Mais pourquoi de telles aspirations ont-elles abouti à des résultats opposés ? Telle est la question. Nous connaissons la réponse ; je l'ai déjà mentionnée à maintes reprises, d'une manière ou d'une autre. Parce que l'autre camp de la confrontation idéologique a perçu les événements historiques en cours non pas comme une chance de réorganiser le monde sur la base de nouveaux principes justes, mais comme son triomphe, sa victoire, la capitulation de notre pays face à l'Occident, et donc comme une occasion d'établir sa propre domination complète par le droit du vainqueur.
J'en ai déjà parlé une fois, maintenant juste en passant, je ne citerai pas de noms. Au milieu des années 90, voire à la fin des années 90, l'un des hommes politiques américains de l'époque a déclaré : désormais, nous traiterons la Russie non pas comme un ennemi vaincu, mais comme un instrument abruti entre nos mains. Telle était la ligne directrice. Une manque de largeur de vues, de culture générale, de culture politique. Une incompréhension de ce qui se passe et une méconnaissance de la Russie. La mauvaise interprétation par l'Occident de ce qu'il considérait comme les résultats de la guerre froide, son avidité géopolitique sans limite et sans précédent, et la manière dont il a commencé à remodeler le monde à sa guise, sont les véritables origines des conflits de notre ère historique, à commencer par les tragédies de la Yougoslavie, de l'Irak, de la Libye, et aujourd'hui de l'Ukraine et du Proche-Orient.
Il a semblé à certaines élites occidentales que ce monopole, leur monopole, le moment de l'unipolarité au sens idéologique, économique, politique et même en partie militaro-stratégique, était le terminus. Ça y est, nous y sommes. « Arrête-toi, l'instant ! Tu es si beau ! » Comme on l'a annoncé avec arrogance à l'époque, c'était presque la fin de l'Histoire.
Il n'est pas nécessaire d'expliquer au public présent ici à quel point ce jugement s'est avéré myope et erroné. L'Histoire n'est pas terminée ; au contraire, elle est simplement entrée dans une nouvelle phase. Et ce n'est pas à cause de ce que quelques ennemis malveillants, concurrents, éléments subversifs aient empêché l'Occident d'établir son système de pouvoir mondial.
Soyons honnêtes, après la disparition de l'URSS — le modèle de l'alternative socialiste soviétique — il a semblé à plusieurs dans le monde que le système monopolisé se fût installé pour longtemps, presque pour toujours, et qu'il ne s'agît que de s'y adapter. Mais il s'est effondré de lui-même, sous le poids de l'ambition et de la cupidité de ces élites occidentales. Et lorsqu'elles ont vu que dans le cadre même du système qu'elles avaient créé pour elles-mêmes (après la Seconde Guerre mondiale, bien sûr, nous devons admettre que les vainqueurs ont créé le système de Yalta pour eux-mêmes, puis, après la guerre froide, les prétendus vainqueurs de la guerre froide ont commencé à créer pour eux-mêmes, en corrigeant ce système de Yalta — c'est là le problème), eh bien, qu'elles ont créé pour elles-mêmes de leurs propres mains, d'autres commencent à réussir et à diriger (c'est ce qu'elles ont vu : elles ont créé le système — et soudain, d'autres dirigeants apparaissent dans le cadre de ce système), bien sûr, elles ont immédiatement commencé à corriger ce système qu'elles avaient déjà créé pour elles-mêmes, elles ont commencé à enfreindre les règles dont elles parlaient hier, à changer les règles qu'elles avaient elles-mêmes établies.
Et quel type de conflit voyons-nous aujourd'hui ? Je suis convaincu qu'il ne s'agit pas d'un conflit entre tous et tous, causé par une déviation de certaines règles, dont on nous parle souvent en Occident, pas du tout. Nous assistons à un conflit entre l'écrasante majorité de la population mondiale, qui souhaite vivre et se développer dans un monde interconnecté offrant un grand nombre de possibilités, et la minorité mondiale, qui ne se préoccupe que d'une seule chose, comme je l'ai déjà dit : de la préservation de sa position dominante. Et pour cela, elle est prête à détruire les acquis d'une longue évolution vers un système mondial universel. Mais comme on le voit, cela n'a pas marché et cela ne marchera pas.
Dans le même temps, l'Occident lui-même tente hypocritement de nous convaincre que les acquis de l'humanité depuis la Seconde Guerre mondiale sont menacés. Il n'en est rien, je viens de le mentionner. Tant la Russie que la grande majorité des pays cherchent à renforcer l'esprit de progrès international et le désir de paix durable qui ont été au cœur du développement depuis le milieu du siècle dernier.
Ce qui est menacé est en fait tout à fait différent. C'est précisément ce monopole de l'Occident, qui est apparu après l'effondrement de l'Union soviétique et qu'il a acquis pendant un certain temps à la fin du XXe siècle, qui est menacé. Mais une fois de plus, je tiens à le dire, et les personnes présentes dans cette salle comprennent que tout monopole, comme nous le montre l'Histoire, a tôt ou tard une fin. Il ne faut pas se faire d'illusions. Et le monopole est toujours néfaste, même pour les monopoleurs eux-mêmes.
La politique des élites de l'Occident collectif est influente, mais — si l'on en juge d'après le nombre de membres d'un certain club très restreint — elle ne vise pas l'avant, la création, mais l'arrière, la rétention. Tout amateur de sport, sans parler des professionnels, en football, en hockey, dans tous les arts martiaux, sait que jouer à s'accrocher conduit presque toujours à la défaite.
Pour en revenir à la dialectique de l'Histoire, nous pouvons dire que l'existence parallèle du conflit et de la recherche de l'harmonie est, bien sûr, instable. Les contradictions de l'époque doivent tôt ou tard être résolues par une synthèse, une transition vers une autre qualité. Alors que nous entrons dans cette nouvelle phase de développement — la construction d'une nouvelle architecture mondiale — il est important pour nous tous de ne pas répéter les erreurs de la fin du siècle dernier, lorsque, comme je l'ai déjà dit, l'Occident a tenté d'imposer son modèle profondément, à mon avis, défectueux, de retrait de la guerre froide, qui a engendré de nouveaux conflits.
Dans le monde multipolaire qui se dessine, il ne doit pas y avoir de pays et de peuples perdants, personne ne doit se sentir désavantagé ni humilié. Ce n'est qu'à cette condition que nous pourrons garantir des conditions véritablement durables pour un développement universel, équitable et sûr. Il ne fait aucun doute que le désir de coopération et d'interaction prévaut déjà, surmontant les situations les plus aiguës. Nous pouvons dire avec certitude qu'il s'agit là du courant international dominant, du cours magistral des événements. Bien entendu, comme nous nous trouvons à l'épicentre de bouleversements tectoniques provoqués par de profonds changements dans le système mondial, il est difficile de prédire l'avenir. Mais puisque nous connaissons la direction générale du changement — de l'hégémonie à un monde complexe de coopération multilatérale, — nous pouvons essayer d'esquisser au moins quelques contours futurs.
Lors du forum de Valdaï de l'année dernière, j'ai pris la liberté d'énoncer six principes qui, à notre avis, devraient constituer la base des relations à un nouveau stade historique de développement. À mon avis, les événements qui se sont produits et le temps qui a passé n'ont fait que confirmer la justesse et la validité des propositions avancées. Je vais tenter de les développer.
Premièrement. L'ouverture à l'interaction est la valeur la plus importante pour l'écrasante majorité des pays et des peuples. Les tentatives d'ériger des barrières artificielles sont vicieuses, non seulement parce qu'elles entravent un développement économique normal et bénéfique. L'interruption des liens est particulièrement dangereuse en cas de catastrophes naturelles, de bouleversements sociaux et politiques, desquels, hélas, la pratique internationale n'est pas exempte.
Sont inacceptables, par exemple, des situations comme celle qui s'est produite l'année dernière après le tremblement de terre catastrophique en Asie Mineure. Pour des raisons uniquement politiques, l'aide à la population syrienne a été bloquée et certains quartiers ont été gravement touchés par la catastrophe. Et ces exemples d'intérêts égoïstes et opportunistes empêchant la réalisation du bien commun ne sont pas isolés.
Un environnement sans barrières, comme je l'ai évoqué l'année dernière, est la clé non seulement de la prospérité économique, mais aussi de la satisfaction des besoins humanitaires aigus. Et face aux nouveaux défis, y compris les conséquences du développement rapide de la technologie, il est tout simplement vital pour l'humanité de mettre en commun les efforts intellectuels. Il est révélateur que les principaux opposants à l'ouverture soient aujourd'hui ceux qui, il y a peu de temps, disons, hier, étaient les premiers à hisser cette ouverture sur le pavois.
Aujourd'hui, les mêmes forces et les mêmes personnes tentent d'utiliser les restrictions comme instrument de pression sur les dissidents. Cela ne marchera pas pour la même raison : la grande majorité mondiale est en faveur de l'ouverture sans politisation.
Deuxièmement. Nous avons toujours parlé de la diversité du monde comme d'une condition préalable à sa stabilité. Cela peut sembler paradoxal, car plus le monde est diversifié, plus il est difficile d'en dresser un tableau unifié. Et bien sûr, les normes universelles semblent y contribuer. En sont-elles capables ? Sans aucun doute, c'est difficile, pas facile à faire. Mais, premièrement, il ne faudrait pas que le modèle d'un pays ou d'une partie relativement petite de l'humanité soit pris comme quelque chose d'universel et imposé à tous les autres. Et, deuxièmement, aucun code conventionnel, même développé démocratiquement, ne peut être pris [et] attribué une fois pour toutes comme une directive, comme une vérité incontestable pour les autres.
La communauté internationale est un organisme vivant, dont la valeur et l'unicité résident dans sa diversité civilisationnelle. Le droit international est le fruit d'accords non seulement entre les pays, mais aussi entre les peuples, car la conscience juridique fait partie intégrante et originale de chaque culture, de chaque civilisation. La crise du droit international dont on parle aujourd'hui est en quelque sorte une crise de croissance.
La montée en puissance de peuples et de cultures qui, pour une raison ou une autre, restaient auparavant à la périphérie politique, signifie que leurs propres notions de droit et de justice jouent un rôle de plus en plus important. Ils sont différents. Cela peut donner une impression de discorde et de cacophonie, mais ce n'est que la première étape de la formation. Et je suis convaincu qu'une nouvelle structure n'est possible que selon les principes de la polyphonie, du son harmonieux de tous les thèmes musicaux. Si vous voulez, nous nous dirigeons vers un ordre mondial qui n'est pas tant polycentrique que polyphonique, dans lequel toutes les voix sont entendues et, surtout, doivent être entendues. Ceux qui ont l'habitude et le désir d'être exclusivement solistes devront s'habituer à la nouvelle partition [dans le sens musical du mot] du monde.
J'ai déjà dit ce qu'était le droit international depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le droit international est basé sur la Charte des Nations unies, qui a été rédigée par les pays victorieux. Mais le monde change, bien sûr, de nouveaux centres de pouvoir émergent, des économies puissantes se développent, s'imposent. Bien sûr, il est nécessaire que la réglementation juridique change également. Bien sûr, cela doit être fait avec précaution, mais c'est inévitable. Le droit reflète la vie, et non l'inverse.
Troisièmement. Nous avons dit à maintes reprises que le nouveau monde ne peut se développer avec succès que sur la base des principes de la représentativité maximale. L'expérience des deux dernières décennies a clairement démontré ce à quoi conduit l'usurpation, le désir de quelqu'un de s'arroger le droit de parler et d'agir au nom des autres. Ceux que l'on appelle communément les grandes puissances ont pris l'habitude de croire qu'ils ont le droit de déterminer ce qui est dans l'intérêt des autres — en voilà une tournure curieuse ! — en fait, de dicter aux autres leurs intérêts nationaux en fonction des leurs. Non seulement cela viole les principes de la démocratie et de l'équité, mais pire encore, cela empêche essentiellement de trouver de véritables solutions aux problèmes urgents.
Le monde à venir ne sera pas simple, précisément en raison de sa diversité. Plus il y aura de participants à part entière au processus, plus il sera difficile, bien sûr, de trouver une option optimale et satisfaisante pour tous. Mais lorsqu'elle est trouvée, on peut espérer que la solution sera durable et à long terme. Et ceci permet également de se débarrasser de l'arrogance et de l'impulsivité et, au contraire, de rendre les processus politiques raisonnables et rationnels, guidés par le principe de la suffisance raisonnable. Ce principe est largement inscrit dans la Charte des Nations unies et dans le Conseil de sécurité. Qu'est-ce que le veto ? Pourquoi le veto a-t-il été inventé ? Pour empêcher l'adoption de décisions qui ne conviennent pas aux acteurs de la scène internationale. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? C'est mauvais, peut-être, pour certains, que l'une des parties mette un obstacle à la prise de décision. Mais c'est une bonne chose dans le sens où les décisions qui ne conviennent pas à quelqu'un ne sont pas adoptées. Qu'est-ce que cela signifie ? Cette norme dit quoi ? Il faut aller dans la salle de négociation et négocier — voici le sens du veto.
Mais comme le monde devient multipolaire, nous devons trouver des outils qui nous permettraient d'étendre l'utilisation et les mécanismes de ce type. Dans chaque cas particulier, la solution ne doit pas être uniquement collective, mais doit inclure les participants qui sont en mesure d'apporter une contribution significative à la résolution des problèmes. Il s'agit avant tout des participants qui ont un intérêt direct à trouver une issue positive à la situation, car leur sécurité future, et donc leur prospérité, en dépendent.
Des exemples abondent où des contradictions complexes, mais en réalité solubles, entre pays et peuples voisins se sont transformées en conflits chroniques irréconciliables à cause des intrigues et de l'ingérence grossière de forces extérieures qui, en principe, ne se soucient pas de ce qu'il adviendra des participants à ces conflits, de la quantité de sang qui sera versée, du nombre de victimes qu'ils subiront. Ils sont simplement guidés — ceux qui interviennent de l'extérieur — par leurs intérêts purement égoïstes, sans prendre aucune responsabilité.
Je pense également que les organisations régionales auront un rôle particulier à jouer à l'avenir, car les pays voisins, quelle que soit la complexité de leurs relations, sont toujours unis par un intérêt commun pour la stabilité et la sécurité. Les compromis sont tout simplement indispensables pour créer les conditions optimales de leur propre développement.
Ensuite, le principe clé est la sécurité pour tous sans exception. La sécurité des uns ne peut être assurée au détriment de celle des autres. Je ne dis rien de nouveau ici. Tout cela est expliqué dans les documents de l'OSCE. Nous devons simplement veiller à ce qu'elles soient mises en œuvre.
L'approche par blocs, héritage de l'ère coloniale de la guerre froide, est en contradiction avec la nature du nouveau système international, qui est ouvert et flexible. Il ne reste aujourd'hui dans le monde qu'un seul bloc soudé par des dogmes idéologiques rigides et des clichés dits « contraignants » : l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord qui, sans cesser son expansion à l'est de l'Europe, tente maintenant d'étendre ses procédés à d'autres régions du monde, en violant les documents de sa propre charte. Il s'agit tout simplement d'un anachronisme pur et simple.
Nous avons parlé à maintes reprises du rôle destructeur que l'OTAN a continué à jouer, en particulier après l'effondrement de l'Union soviétique et du Pacte de Varsovie, lorsque l'alliance a semblé avoir perdu la raison et le sens formels, précédemment déclarés, de son existence. Il me semble que les États-Unis ont compris que cet instrument devenait privé d'intérêt et inutile, mais ils en avaient besoin et en ont encore besoin aujourd'hui pour régner dans leur zone d'influence. C'est pourquoi les conflits [leur] sont nécessaires.
Vous savez, même avant tous les conflits aigus d'aujourd'hui, de nombreux dirigeants européens m'avaient dit : à quoi bon vous diabolisent-ils dans nos yeux, nous n'avons pas peur, nous ne voyons pas de menaces. C'était un discours direct, comprenez-vous ? Je pense que les États l'ont également très bien compris, ressenti, eux qui considéraient déjà l'OTAN comme une organisation secondaire. Croyez-moi, je sais ce que je dis. Mais quand même, les experts là-bas comprenaient que l'OTAN [leur] était nécessaire. Mais comment préserver sa valeur, son attrait ? Il faut effrayer par la Russie de leur mieux, il faut décrocher la Russie de l'Europe, surtout de l'Allemagne, de la France par des conflits. C'est ainsi qu'ils nous ont amenés au coup d'État en Ukraine et aux hostilités dans son Sud-est, dans le Donbass. Ils nous ont simplement forcés à riposter et, en ce sens, ils ont obtenu ce qu'ils voulaient. La même chose se produit en Asie, dans la péninsule coréenne, je pense.
En fait, nous constatons que la minorité mondiale, en préservant et en renforçant son bloc militaire, espère conserver le pouvoir de cette manière. Cependant, même à l'intérieur de ce bloc, nous pouvons déjà comprendre et voir que le cruel diktat du « Grand frère » ne contribue en rien à résoudre les tâches auxquelles chacun est confronté. Cela va d'autant plus à l'encontre des intérêts du reste du monde. Coopérer avec ceux qui profitent, établir des partenariats avec tous ceux qui y sont intéressés, telle est la priorité évidente de la plupart des pays de la planète.
De toute évidence, les blocs militaro-politiques et idéologiques sont un type de plus d'obstacles érigés sur la voie du développement naturel d'un tel système international. En même temps, je voudrais noter que la notion même de « jeu à somme nulle », où un seul gagne et tous les autres perdent, est un produit de la pensée politique occidentale. Pendant la domination de l'Occident, cette approche a été imposée à tous comme une approche universelle, mais elle est loin d'être universelle et ne fonctionne pas toujours.
Par exemple, la philosophie orientale — et beaucoup de personnes dans cette salle la connaissent de première main, pas plus mal et peut-être même mieux que moi — est construite sur une approche complètement différente. Il s'agit d'une recherche d'harmonie entre les intérêts, afin que chacun puisse réaliser ce qui est le plus important pour lui, mais pas au détriment des intérêts d'autrui. « Je gagne, mais gagne, toi aussi ». Et les Russes en Russie, tous les peuples de Russie, étaient toujours partis, chaque fois que c'était possible, du principe que l'essentiel n'était pas d'imposer leur opinion par quelque moyen que ce soit, mais d'essayer de les persuader et de les intéresser à un partenariat honnête et à une coopération sur un pied d'égalité.
Notre histoire, y compris l'histoire de la diplomatie russienne, a montré à maintes reprises ce que signifiaient l'honneur, la noblesse, le rétablissement de la paix et l'indulgence. Il suffit de rappeler le rôle de la Russie dans l'organisation de l'Europe après les guerres napoléoniennes. Je sais que, dans une certaine mesure, ce rôle est perçu comme un retour, comme une tentative de maintien de la monarchie, etc. Ce n'est pas la question aujourd'hui. Je parle en général de la manière dont ces questions ont été traitées.
Le prototype de la nature nouvelle, libre et sans bloc des relations entre les États et les peuples est la communauté qui se forme actuellement dans le cadre des BRICS. Cela est illustré, entre autres, par le fait que même parmi les membres de l'OTAN, certains, comme vous le savez, sont intéressés par une collaboration étroite avec les BRICS. Je n'exclus pas qu'à l'avenir, d'autres États envisageront également de collaborer plus étroitement avec les BRICS.
Notre pays a présidé l'association cette année et, comme vous le savez, le sommet de Kazan a eu lieu tout récemment. Je ne peux nier qu'il n'est pas facile d'élaborer une approche coordonnée entre de nombreux pays dont les intérêts ne coïncident pas toujours sur tous les points. Les diplomates et autres hommes d'État ont dû déployer un maximum d'efforts, faire preuve de tact et montrer leur capacité à entendre et à écouter l'autre afin de parvenir au résultat souhaité. Cela a demandé beaucoup d'efforts. Mais c'est ainsi que naît l'esprit unique de coopération, qui ne repose pas sur la coercition mais sur la compréhension mutuelle.
Nous sommes convaincus que les BRICS sont un bon exemple de coopération véritablement constructive dans le nouvel environnement international. J'aimerais ajouter que les plateformes des BRICS, les réunions d'entrepreneurs, de scientifiques et d'intellectuels de nos pays peuvent devenir un espace de réflexion philosophique et fondamentale sur les processus modernes de développement mondial, en tenant compte des particularités de chaque civilisation avec sa culture, son histoire, son identité et ses traditions.
L'esprit de respect et de prise en compte des intérêts, c'est aussi la base du futur système de sécurité eurasiatique qui commence à prendre forme sur notre vaste continent. Et il ne s'agit pas seulement d'une approche véritablement multilatérale, mais aussi d'une approche à multiples facettes. En effet, la sécurité est aujourd'hui un concept complexe qui ne comprend pas seulement des aspects militaires et politiques. Il n'y a pas de sécurité sans garantie de développement socio-économique et de pérennité des États face à tous les défis, qu'ils soient d'origine naturelle ou humaine, qu'il s'agisse du monde matériel ou numérique, du cyberespace, etc.
Cinquièmement : l'équité pour tous. L'inégalité est le véritable fléau du monde moderne. À l'intérieur des pays, l'inégalité génère des tensions sociales et de l'instabilité politique. Sur la scène mondiale, l'écart de développement entre le « milliard d'or » et le reste de l'humanité se traduit non seulement par des contradictions politiques croissantes, mais surtout par une aggravation des problèmes migratoires.
Pratiquement tous les pays développés de la planète sont confrontés à un afflux de plus en plus incontrôlable de ceux qui espèrent améliorer leur situation financière, accroître leur statut social, avoir des perspectives d'avenir et parfois simplement survivre.
À son tour, cet élément migratoire provoque la montée de la xénophobie et de l'intolérance à l'égard des nouveaux arrivants dans les sociétés plus riches, ce qui déclenche une spirale de désavantages sociopolitiques et augmente le niveau d'agression.
Le retard de nombreux pays et sociétés en termes de développement socio-économique est un phénomène complexe. Bien entendu, il n'existe pas de remède miracle à cette maladie. Nous avons besoin d'un travail systémique à long terme. En tout état de cause, il est nécessaire de créer les conditions permettant de lever les obstacles artificiels au développement, motivés par des considérations politiques.
Les tentatives d'utilisation de l'économie comme arme, quelle que soit la personne contre laquelle elles sont dirigées, touchent tout le monde, et en premier lieu les plus vulnérables, c'est-à-dire les gens et les pays qui ont besoin de soutien.
Nous sommes convaincus que des questions telles que la sécurité alimentaire, la sécurité énergétique, l'accès aux soins de santé et à l'éducation et, enfin, la possibilité de circuler légalement et sans entrave doivent être mises à l'écart de tout conflit et de toute contradiction. Il s'agit de droits humains fondamentaux.
Sixièmement. Nous ne nous lassons pas de souligner que tout ordre international durable ne peut être fondé que sur les principes de l'égalité souveraine. Oui, tous les pays ont des potentiels différents, c'est évident, et leurs capacités sont loin d'être égales. À cet égard, on entend souvent dire que l'égalité totale est impossible, utopique et illusoire. Mais la particularité du monde moderne, étroitement interconnecté et holistique, réside précisément dans le fait que les États qui ne sont pas les plus puissants, les plus grands, jouent souvent un rôle même plus important que les géants, ne serait-ce que parce qu'ils sont capables d'utiliser leur potentiel humain, intellectuel, naturel et environnemental de manière plus rationnelle et plus ciblée, qu'ils sont flexibles et raisonnables dans leur approche de la résolution de problèmes complexes, qu'ils établissent des normes élevées en matière de qualité de vie, d'éthique, d'efficacité de la gouvernance, de création d'opportunités pour l'épanouissement de chacun, de création de conditions favorables au développement du monde et de création de conditions pour le développement du monde. Tous ces éléments deviennent aujourd'hui des facteurs d'influence mondiale. Pour paraphraser les lois de la physique : si l'on perd en signification, on peut gagner en performance.
La chose la plus nuisible et la plus destructrice qui se manifeste dans le monde d'aujourd'hui est l'arrogance, l'attitude qui consiste à regarder quelqu'un de haut, le désir d'instruire sans fin et de manière obsessionnelle. La Russie n'a jamais fait cela, ce n'est lui guère inhérent. Et nous voyons que notre approche est productive. L'expérience historique montre irréfutablement que l'inégalité — que ce soit dans la société, dans l'État ou dans l'arène internationale — ne peut qu'avoir de mauvaises conséquences.
Je voudrais ajouter quelque chose que je n'ai peut-être pas souvent mentionné auparavant. Depuis plusieurs siècles, le monde occidentalo-centré a développé certains clichés, des stéréotypes, une sorte de hiérarchie. Il y a le monde développé, l'humanité progressiste et une certaine civilisation universelle à laquelle tous devraient aspirer, et il y a des peuples arriérés, non civilisés, des barbares. Leur sort est d'écouter sans broncher ce qu'on leur dit de l'extérieur et d'agir selon les instructions de ceux qui se situent prétendument au-dessus d'eux dans la hiérarchie des civilisations.
Il est clair qu'une telle enveloppe est faite pour le colonialisme brutal, pour l'exploitation de la majorité mondiale. Mais le problème est que cette idéologie essentiellement raciste s'est enracinée dans la conscience de plusieurs. Et c'est aussi un obstacle mental sérieux au développement harmonieux de tous.
Le monde moderne ne tolère pas seulement l'arrogance, mais aussi la surdité à l'égard des particularités et de l'identité des autres. Pour construire des relations normales, il faut d'abord écouter l'interlocuteur, comprendre sa logique et sa base culturelle, et ne pas lui attribuer ce que l'on pense de lui. Sinon, la communication se transforme en échange de lieux communs, en étiquetage, et la politique devient une conversation de sourds.
Vous comprenez, bien sûr, nous voyons qu'il y a un intérêt pour certaines cultures originales de différentes nations. Vu de l'extérieur, tout est beau : la musique et le folklore sont mis en valeur. Mais en fait la politique économique et de sécurité reste la même, à savoir néocoloniale.
Regardez comment fonctionne l'Organisation mondiale du commerce : elle ne décide re rien, car tous les pays occidentaux, les principales économies, bloquent tout. Il n'y a rien d'autre que leurs propres intérêts, pour reprendre et reproduire constamment la même chose qui se produisait durant des décennies et des siècles, pour tenir la bride courte à tout le monde, et rien que ça.
Il ne faut pas oublier que tout le monde est égal en ce sens que chacun a le droit d'avoir sa propre vision, qui n'est ni meilleure ni pire que celle des autres, c'est simplement la sienne, et qu'il faut vraiment la respecter. C'est sur cette base que sont formulés la compréhension mutuelle des intérêts, le respect, l'empathie, c'est-à-dire la capacité à compatir, à ressentir les problèmes des autres, la capacité à percevoir le point de vue et les arguments d'autrui. Et il ne s'agit pas seulement de percevoir, mais aussi d'agir en conséquence, d'élaborer sa propre politique en conséquence. Percevoir ne signifie pas accepter et être d'accord avec tout. Ce n'est certainement pas le cas. Cela signifie avant tout reconnaître le droit de l'interlocuteur à sa propre vision du monde. C'est d'ailleurs le premier pas nécessaire pour trouver l'harmonie entre ces visions du monde. Nous devons apprendre à percevoir la différence et la diversité comme une richesse et une opportunité, et non comme une cause de conflit. C'est aussi la dialectique de l'Histoire.
Vous et moi, nous comprenons que l'ère des transformations cardinales est, malheureusement, une période de bouleversements inévitables, de chocs d'intérêts, une sorte de nouvel ajustement de l'un à l'autre. En même temps, la connectivité du monde n'atténue pas nécessairement les contradictions. Bien sûr, c'est vrai aussi. Au contraire, elle peut parfois les aggraver, rendre les relations encore plus compliquées et la recherche d'une issue beaucoup plus difficile.
Au cours des siècles de son histoire, l'humanité s'est habituée à ce que l'ultime moyen de résoudre les contradictions soit de régler les relations par la force. Oui, cela arrive aussi : le plus fort a raison. Et ce principe fonctionne aussi. Oui, cela arrive assez souvent, les pays doivent défendre leurs intérêts par la force des armes, les défendre par tous les moyens disponibles.
Mais le monde d'aujourd'hui est complexe et compliqué, il devient de plus en plus complexe. En résolvant un problème, le recours à la force en crée bien sûr d'autres, souvent encore plus difficiles. Et nous le comprenons aussi. Notre pays n'a jamais eu recours à la force. Nous ne devons le faire que lorsqu'il devient évident que l'adversaire se comporte de manière agressive et n'accepte aucun, absolument aucun argument. Et lorsque c'est nécessaire, bien sûr, nous prendrons toutes les mesures pour protéger la Russie et chacun de ses citoyens, et nous atteindrons toujours nos objectifs.
Le monde n'est pas du tout linéaire et est intérieurement hétérogène. Nous l'avons toujours réalisé et compris. Je ne voudrais pas me laisser aller à des réminiscences aujourd'hui, mais je me souviens très bien de ce à quoi nous avons été confrontés en 1999, lorsque j'ai dirigé le gouvernement et que je suis devenu chef d'État. Je pense que les citoyens russes et les experts présents dans cette salle se souviennent également très bien des forces qui se trouvaient derrière les terroristes du Caucase du Nord, de l'endroit et des quantités d'armes, d'argent, de soutien moral, politique, idéologique et informationnel qu'ils recevaient.
Il est même amusant, à la fois triste et drôle, de se rappeler comment ils avaient l'habitude de dire : ah, c'est Al-Qaïda ; Al-Qaïda est mauvais en général, mais lorsqu'il se bat contre vous, c'est pas mal. Comment appeler ça ? C'est tout cela qui mène au conflit. À l'époque, notre objectif était d'utiliser tout le temps, tout le temps dont nous disposions, d'utiliser toutes les forces pour préserver le pays. Bien entendu, il en allait de l'intérêt de tous les peuples de Russie. Malgré la situation économique désastreuse après la crise de 1998 et la dévastation de l'armée, nous avons tous ensemble, le pays tout entier, repoussé l'attaque des terroristes et nous les avons vaincus.
Pourquoi est-ce que je m'en souviens ? Parce qu'une fois de plus, certains ont nourri l'idée qu'un monde sans la Russie serait meilleur. Ils ont ensuite essayé d'en finir avec la Russie, d'en finir avec tout ce qui restait après l'effondrement de l'Union soviétique, et maintenant, il semble que certains en rêvent aussi. Ils pensent que le monde sera plus obéissant, qu'il sera mieux géré. Mais la Russie a toujours arrêté ceux qui brûlaient d'envie de dominer le monde, qui que ce fût. Et il en sera toujours ainsi. Et le monde ne s'améliorera pas. Ceux qui essaient de le faire doivent finir par s'en rendre compte. La tâche n'en sera que plus difficile.
Nos adversaires trouvent de nouveaux moyens et outils pour tenter de se débarrasser de nous. Ils se servent maintenant de l'Ukraine comme d'un outil, des Ukrainiens qui sont simplement dressés de manière cynique contre les Russes, les transformant en fait en chair à canon. Et tout cela s'accompagne d'un discours sur le choix européen. Mais quel choix ? Nous n'avons certainement pas besoin de rien de tel. Nous nous défendrons, nous et notre peuple — que personne ne se fasse d'illusions à ce sujet.
Mais le rôle de la Russie ne se limite certainement pas à se protéger et à se préserver. Cela peut sembler un peu pathétique, mais l'existence même de la Russie est une garantie que le monde conservera ses couleurs, sa diversité et sa complexité, et c'est la clé d'un développement réussi. Et maintenant, je peux vous dire que ce ne sont pas mes paroles à moi, ce sont nos amis de toutes les régions du monde qui me le répètent souvent. Je n'exagère rien. Je le répète : nous n'imposons rien à personne et nous ne le ferons jamais. Nous n'en avons pas besoin nous-mêmes et personne n'en a besoin. Nous sommes guidés par nos valeurs, nos intérêts et nos idées sur ce qui est équitable, qui sont enracinés dans notre identité, notre histoire et notre culture. Et bien sûr, nous sommes toujours prêts à un dialogue constructif avec tout le monde.
Ceux qui respectent leur culture et leurs traditions n'ont pas le droit de ne pas traiter les autres avec le même respect. Et ceux qui tentent de forcer les autres à se comporter de manière inappropriée piétinent invariablement dans la boue leurs propres racines, leur propre civilisation et leur propre culture, et c'est en partie ce à quoi nous assistons.
La Russie se bat aujourd'hui pour sa liberté, ses droits, sa souveraineté. Je dis cela sans exagération, car au cours des décennies précédentes, tout semblait favorable et décent de l'extérieur : le G7 était devenu le G8 — merci de nous avoir invités.
Savez-vous ce qui se passait ? Je l'ai vu : lorsque vous venez à ce G8, il est immédiatement clair qu'avant la réunion du G8, le G7 s'était déjà réuni et avait discuté de quelque chose entre eux, y compris en ce qui concerne la Russie, et que la Russie a ensuite été invitée. Tu regardes cela avec le sourire, c'est ainsi que je le voyais toujours. Ils te donnent une accolade et une tape sur l'épaule. Mais dans la pratique, ils font le contraire. Ils continuent d'avancer, d'avancer et d'avancer. Cela est particulièrement visible dans le contexte de l'expansion de l'OTAN vers l'Est. Ils ont promis qu'ils ne le feraient pas, mais ils continuent à le faire. Et dans le Caucase, aussi qu'avec ce système de défense antimissile — tout, sur n'importe quelle question clé, ils se fichent tout simplement de notre opinion. En fin de compte, tout cela a commencé à ressembler à une intervention rampante qui, sans aucune exagération, viserait à rabaisser ou, mieux, à détruire le pays, que ce soit de l'intérieur ou de l'extérieur.
Finalement, ils sont arrivés en Ukraine et s'y sont enfournés avec leurs bases et leur OTAN. En 2008 la décision est prise à Bucarest d'ouvrir les portes de l'OTAN à l'Ukraine et à la Géorgie. Pourquoi, pardonnez le langage populaire, pourquoi diable ont-ils fait cela ? Y avait-il eu des difficultés dans les affaires mondiales ? Certes, nous nous sommes disputés avec l'Ukraine au sujet des prix du gaz, mais nous avons quand même résolu le problème. Quel était le problème ? Pourquoi fallait-il le faire — juste pour créer les conditions d'un conflit ? On savait très bien où cela mènerait. N'importe, cela ne faisait que continuer : la prise de possession de nos territoires historiques, le soutien à un régime avec un parti pris néo-nazi évident.
C'est pourquoi nous pouvons dire et répéter sans hésiter que nous nous battons non seulement pour notre liberté, non seulement pour nos droits, non seulement pour notre souveraineté, mais que nous défendons les droits et les libertés universels, les possibilités d'existence et de développement de la majorité absolue des États. Dans une certaine mesure, nous considérons qu'il s'agit là de la mission de notre pays. Cela devrait être clair pour tout le monde : il est inutile de faire pression sur nous, mais en même temps nous sommes toujours prêts à négocier en tenant pleinement compte des intérêts légitimes mutuels. C'est ce que tous les participants au dialogue international ont été et continuent d'être appelés à faire. Et il ne fait aucun doute que les futurs invités de la réunion du Club Valdaï, qui aujourd'hui sont peut-être encore des écoliers, des étudiants, des étudiants de troisième cycle ou de jeunes scientifiques, des experts en herbe, discuteront dans les vingt prochaines années, à la veille du 100e anniversaire des Nations unies, de sujets beaucoup plus optimistes et stimulants que ceux dont nous devons discuter aujourd'hui.
Je vous remercie de votre attention.
Source en russe : le site du Kremlin
Traduit par Valerik
Réunion du Club de discussion de Valdaï : discours de V. Poutine, 7 nov. 2024
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