Pour ceux qui vont lire les dictionnaires mentionnés ci-dessus, ainsi que d'autres éditions en ancienne orthographe russe, il serait utile de se familiariser avec la réforme de l'orthographe russe de 1918.
La réforme consistait principalement à modifier un certain nombre de règles de l’orthographe russe, notamment en éliminant plusieurs lettres de l’alphabet russe.
La réforme a été discutée et préparée bien avant sa mise en œuvre pratique. Elle a été formalisée pour la première fois sous la forme du « Rapport préliminaire » de la sous-commission orthographique de l’Académie impériale des sciences, présidée par Alexei Alexandrovitch Сhakhmatov (1904). En 1911, une réunion spéciale de l’Académie des sciences a approuvé le travail de la commission préliminaire sous une forme générale et a pris une résolution à cette occasion : élaborer en détail les principales parties de la réforme ; la résolution correspondante a été publiée en 1912. Depuis lors, nombre d’éditions ont été imprimées dans la nouvelle orthographe.
Selon la réforme :
1) les lettres Ѣ (ять, yat’), Ѳ (фита, fita), І (i десятичное, i décimal ; en fait i latin) ont été exclues de l’alphabet ; à leur place, les lettres Е, Ф, И devraient être utilisées respectivement ;
2) le signe dur (Ъ) à la fin des mots et des parties de mots composés a été exclu, mais il a été conservé comme signe de séparation (подъём, адъютант) ;
3) la règle d’écriture des préfixes avec з/с a été modifiée : désormais, tous (sauf с-) se terminent par с devant toute consonne sourde et par з devant les consonnes voisées et devant les voyelles (разбить, разораться, разступиться → разбить, разораться, mais расступиться) ;
4) au génitif et à l’accusatif des adjectifs et des participes, la terminaison -аго après les chuintantes a été remplacée par -его (лучшаго → лучшего), dans tous les autres cas -аго a été remplacé par -ого, et -яго par -его (p. ex., новаго → нового, ранняго → раннего), au nominatif et à l’accusatif du pluriel des genres féminin et neutre -ыя, -ія — par -ые, -ие (новыя → новые) ;
5) les formes du féminin pluriel онѣ, однѣ, однѣхъ, однѣмъ, однѣми ont été remplacées par они, одни, одних, одним, одними ;
6) la forme verbale du génitif du singulier ея (нея) a été remplacée par её (неё).
Sur ces derniers points, la réforme, d’une manière générale, a touché non seulement l’orthographe, mais aussi l’orthoptie et la grammaire, puisque les graphies онѣ, однѣ, ея (reproduisant l’orthographe slave de l’Église) avaient réussi dans une certaine mesure à entrer dans la prononciation russe, notamment dans la poésie (où elles participaient à la rime : онѣ/женѣ chez Pouchkine, моя/нея chez Tiouttchev, etc.).
Les documents de la réforme orthographique de 1917-1918 ne mentionnent pas le sort de la lettre Ѵ (ижица, ijitsa ; surtout ne pas confondre avec V latin dont le dessin est très pareil !), rare et en voie de disparition longtemps avant 1917 ; en pratique, après la réforme, elle a finalement disparu de l’alphabet.
Selon le décret du 10 octobre 1918 « Sur l’introduction de la nouvelle orthographe », « toutes les publications gouvernementales, périodiques (journaux et revues) et non périodiques (ouvrages scientifiques, recueils, etc.), tous les documents et papiers doivent, à partir du 15 octobre 1918, être imprimés selon la nouvelle orthographe ci-jointe ». Les deux décrets (du 23.12.1917 et du 10.10.1918) n’autorisaient pas le « recyclage forcé de ceux qui avaient déjà appris les règles de l’ancienne orthographe ».
Les autorités de l’État ont rapidement établi un monopole sur les imprimés et ont surveillé de près l’application du décret. Il était courant de retirer des presses d’imprimerie non seulement les lettres exclues de l'alphabet (I, Ѳ et Ѣ), mais aussi le signe dur Ъ. De ce fait, l’écriture de l’apostrophe comme signe de séparation à la place de Ъ (под’ём, ад’ютант) s’est répandue et a été perçue comme faisant partie de la réforme, bien qu’en fait, du point de vue du décret du Sovnarkom (gouvernement de Russie à l'époque), cette écriture était erronée. Néanmoins, certaines éditions scientifiques liées à la publication d’ouvrages et de documents anciens, ainsi que des éditions dont la composition avait commencé avant la révolution, ont été publiées dans l’ancienne orthographe (à l’exception de la page de titre et, souvent, des préfaces) jusqu’en 1929.
Il convient de noter que les chemins de fer russiens, puis soviétiques, ont exploité des locomotives à vapeur portant les désignations des séries I, Ѵ et Ѳ. Malgré la réforme de l’orthographe, ces noms des séries sont restés inchangés jusqu’à la mise hors service de ces locomotives (dans les années 1950).
La réforme a réduit le nombre de règles orthographiques qui n’avaient pas de support dans la prononciation, comme la nécessité de mémoriser une longue liste de mots orthographiés avec la lettre Ѣ, yat’ (et il y a eu des différends entre linguistes sur la composition de cette liste, de sorte que les différents manuels d’orthographe se contredisaient dans certains cas).
La réforme a permis de réaliser quelques économies en matière d’écriture et de composition en éliminant le Ъ à la fin des mots (selon les estimations de L. Ouspensky, le texte dans la nouvelle orthographe devient environ 1/30 plus court).
La réforme a éliminé de l’alphabet russe des paires de graphèmes totalement homophones (Ѣ et Е ; Ѳ et Ф; І, Ѵ et И), rapprochant ainsi l’alphabet du système phonologique réel de la langue russe.
Cependant, une certaine confusion a également apparu. Par exemple, avant la réforme, il y avait deux mots russes différents : « миръ » et « мiръ », les deux fusionnant dans un seul mot « мир ». Le premier signifiait « la paix », et le second combinait les sens de « la gent », « le monde », « l’univers ».
En russe, avec plus de détails.
La réforme de l’orthographe russe de 1918
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